Il est une heure du matin.
Les cris de l'enfant pénétrèrent son sommeil. Elle fut obligée de laisser de coté le songe dans lequel elle était plongée et dont, de toute façon, il n'aurait rien du rester tant le réveil fut soudain...
« Elle a faim » se dit-elle, "encore quelque jours et elle fera ses nuits". A ses cotés le père se rendormait déjà, plein de la gratitude nocturne de l'homme qui ne peut allaiter. Elle avança d'un pas ensommeillé, pris affectueusement l'enfant et s'installât dans son fauteuil favori, celui dans lequel elle avait choisi de donner le sein. Il se trouvait dans le salon mais elle l'avait installé de façon à pouvoir voir le berceau de la petite. Aussi passait elle beaucoup de son temps libre à observer sa fille respirer. Elle s'assied machinalement et l'enfant trouva rapidement le sein offert de sa mère.
Mais le rêve lui revenait comme un coup de poing dans l'estomac qui vous étouffe, avec une larme qui ne veut pas couler. Elle avait rêvé de lui. Pourtant elle ne recevait plus de nouvelles depuis près de trois ans, depuis le jour ou il avait disparu quittant l'entreprise dans laquelle ils travaillaient tous deux.
A l'époque, puisqu'il s'agit d'un autre age, un age sans enfant, ils s'étaient embrassés, presque par jeu, beaucoup par désir. Elle se sentait proche de lui qui l'écoutait et la comprenait. Surtout il ne la jugeait pas.
Un ronflement la sortie de ses pensées. « Il s'est rendormi ». Ils vivaient ensemble depuis quasiment dix ans. Au début ce fut merveilleux. Elle était prête à tout pour lui. D’ailleurs elle est allée jusqu'au bout de l'abandon de soi pour devenir ce qu'il voulait. Puis elle l'a rencontré et ils se sont embrassés. Il lui a dit ce qu'il voyait derrière sa façade, que ce qu'il voyait lui semblait « magnifique ». Il a écouté et compris. Il a insisté pour entendre ce qu'elle avait à dire, ce qu'elle voulait crier au monde. Elle se souvient à quel point ce fut difficile de faire accepter les changements qui se produisirent alors dans sa vie à son compagnon. C'était pile où face. Un refus, elle partirait.
Mais lui? Il vivait avec sa petite amie. « Il n'attendait rien d'une telle relation, tout comme moi d’ailleurs! »
Pourtant elle rêvait de cet homme. « Soyons adultes », « soyons responsables » s'étaient-ils dit. « Nous avons chacun nos vies... »
Elle se rappelait des ses yeux d'alors. Il souriait mais son regard...
Puis il n'était plus venu travailler. "Démission" disait la rumeur. Il ne lui avait même pas parlé. Grâce à lui elle était elle même. L'homme qui dormait dans sa chambre l'aimait ainsi et avait accepté de changer pour elle et pour l'enfant.
Elle ne savait plus rien de lui pourtant ses songes faisaient renaître la confusion des sentiments qui l'habitaient alors.
Le froid de la nuit lui mordait la main gauche. De l’autre il tenait celle de sa fiancée glissée au fond de sa poche. Elle voulait se marier, lui disait « jamais ». Puis ce soir il avait cédé. Le grand jeu, restaurant, champagne, la bague. Ils étaient heureux.
Maintenant qu’ils marchaient pour rejoindre la borne de taxi, son regard avait changé. Elle parlait à côté de lui, joyeuse, volubile, éperdue. Mais lui ne l’écoutait plus, il se souvenait d’une autre, de l’autre. Il aimait l’entendre lui raconter sa vie. C’était autant d’aventures. Elle l’intimidait parfois tant sa volonté et son caractère étaient forts. Pourtant elle se soumettait à sa vie et à son passé, se contentant d’y être une spectatrice. Il est vrai que c’est difficile de cicatriser d’anciennes blessures, d’avancer quand tout est construit sur elles. Mais son courage transpirait et elle n’avait besoin que d’un déclic. Il le lui dit, elle le comprit, leurs bouches se touchèrent. Il se souvint du bonheur que ce fut, comme une chaîne qu’on enlève enfin au prisonnier. Elle était pour lui la liberté. Mais libres ils ne l’étaient pas. Aussi se contraignirent-ils. Le poids des chaînes augmentât si bien que le prisonnier s’évada. Il trouva un autre travail et partit sans mot dire.
A présent qu’il s’apprêtait à rajouter une nouvelle chaîne à son pied, il réalisa que jamais il ne lui avait dit ce qu’il ressentait, ce qu’il avait sur le cœur. Entre eux le mot le plus précis avait été « sentiments ». Mais ce n’est pas cela qu’il voulait lui dire. Il voulait la regarder dans les yeux et lui dire ce qu’il ressentait encore. Son estomac se crispa, une larme coula. Un murmure : « je t’aime ».
- « Moi aussi mon chéri ».